Une idée sinon vraie…
Dans Une idée sinon vraie… Marc Boivin désirait cette fois s’éloigner d’un rapport à la création purement personnel et se laisser inspirer par d’autres formes artistiques. La façon dont le théâtre et la musique honorent le passé tout en se positionnant face à lui fascine et inspire l’artiste. Voyage au cœur de la commedia dell’arte, sa dernière création s’est présentée tel un jeu de rôles, un parcours de transformations, qui, à travers la danse et la musique, a révélé aux spectateurs les différentes facettes de la vulnérabilité d’un homme d’aujourd’hui.
De la partition musicale en sept mouvements, reflet de sept personnages emblématiques qui composent l’univers de la commedia dell’arte, Marc Boivin propose une mise en abîme dans un seul corps de la diversité de ces personnalités. Il les traverse, telle une poupée russe, pour atteindre l’essence de leur sensibilité, leur dimension universelle dans un tableau de famille pour le moins surprenant. Un flot de sensations nous submerge alors, suscitant à la fois vertige, attrait irrévocable pour les mystères de l’individu et questionnements sur notre propre liberté d’être. Avec un grand souci du détail, dans une interprétation troublante, Marc Boivin et les quatre musiciens livrent ici un exercice de style parfaitement réussi. Loin des codes du théâtre, ils confrontent l’idée sinon vraie du moins vraisemblable, de ce que nous sommes, de notre perception vulnérable et changeante de la réalité. Un solo exigeant sur ces vérités périssables sur lesquelles on s’appuie, sur nos personnalités multiples et leurs contradictions.
« La pièce que vous allez voir ne vous paraîtra pas neuve…/ … il y a beaucoup d’année moi j’étais moi, vous, vous étiez vous, ceux-ci étaient ceux-ci et les autres étaient les autres. Et dans beaucoup d’autres milliers d’années quand aura tourné je ne sais quelle grande roue, nous reviendrons à être encore moi ici debout, vous là-bas assis, moi à parler, vous à écouter…/… Et ces paroles que je vous dis qui auront été des paroles, seront encore des paroles, et il vous semblera les avoir déjà entendues, comme il vous semblera maintenant les avoir entendues déjà » – Angelo Beolco, 1535
crédit photo : Michael Slobodian
The Fictions Project
« Aucun groupement humain n’a jamais été découvert circulant tranquillement dans le réel à la manière des autres animaux : sans religion, sans tabou, sans rituel, sans généalogie, sans contes, sans magie, sans histoires, sans recours à l’imaginaire, c’est-à-dire sans fictions.» -Nancy Huston
À l’entrée du processus de création, des paramètres particuliers enclenchent la singularité d’un projet. Ici, deux lieux de présentations, l’un in situ, l’autre la boîte noire. Ensuite, la rencontre avec trois femmes, interprètes de haut calibre, qui provoque l’envie de mettre au défi et de juxtaposer leurs différentes qualités. Partageant un niveau d’expertise, chacune d’un monde artistique très différent, elles permettent une recherche sur le rôle de la perception. Comment le vécu, la présentation et la perception d’une chose véhiculent-ils la différence ? À partir simplement de neuf enchaînements et de leur conjugaison aléatoire, solo, duo et trio guident le processus. Tout se joue dans l’interprétation.
Il n’y a pas de projection fondamentale d’une certitude interne, seulement la conjonction éventuelle des parcours et le libre arbitre du geste. Nous sommes les fictions que nous créons. Chacune de ces fictions est une réalité, une invitation fragile, unique et éphémère pour nous mener vers de nouveaux procédés de compréhension. Tout se joue dans la subjectivité.
Inspiré de l’essai L’espèce fabulatrice de l’auteure canadienne Nancy Huston, le projet Fictions pourrait être nommé « contempler l’heureux hasard »… et choisir de le suivre. Il est révélateur de découvrir le lieu de résonance dans le mouvement des corps et de s’y attarder. La kinesthésie est une fenêtre ouverte sur la singularité de l’être.
Une première mouture de Fictions est réalisée dans le cadre de l’édition 2009 de Dusk Dances. De cette incarnation intitulée Withrow Park, nous conservons seulement l’étude des systèmes de mouvements ainsi que des éléments de l’environnement, des fragments d’une plasticité qui convient à la transposition et à un nouveau contexte. Du vert de la nature à l’incrustation couleur, de la lumière évanescente du crépuscule à la froideur de lampes fluorescentes, de paysage à canevas, et de tout cela à la boîte noire. Construire un lieu esthétique témoigne d’un désir de perception, d’émotion et de sensation.
Si nous reconnaissons la nature comme un lieu de vérité, où les choses existent dans leur plus simple réalité, la scène, à l’inverse, propose une recréation de la réalité dans l’espoir de la recevoir autrement. Mais, la construction du spectacle à l’extérieur est tout aussi réelle qu’une émotion dans le théâtre. Mais encore, les deux révèlent notre désir de recréer ce qui nous semble naturel. Et encore, tout se joue dans la subjectivité. Les fictions que nous créons sont nos vérités.
Withrow Parc
Chorégraphe > Marc Boivin
Danseuses > Kate Alton + Kate Franklin + Kate Holden
Musique >
Spem in alium, Thomas Tallis
RUNDFUNKCHOIR BERLIN
Costume > Marc Boivin
Oeil extérieur > Sylvie Bouchard
Fictions : Chroma Key
Chorégraphe > Marc Boivin
Danseuses > Kate Alton + Kate Franklin + Kate Holden
Musique >
Arteries of Tokyo, Atau Tanaka
Bondage, Atau Tanaka
Winds of Guitar, Garlo
Forever Bach, Knut Nystedt
RUNDFUNKCHOIR BERLIN
Costume > Heather MacCrimmon
Lumières > Bonnie Beecher
Décor > Marc Boivin
Merci à LADMMI L’école de danse contemporaire, Dancemakers and the Centre for Creation, Coleman Lemieux & Compagnie, Paul Chambers à Tangente.
Fictions Project est une coproduction de DuskDances et firstthingsfirst productions.
crédit photo : John Lauener
I 13 (au carré)
Dʼune durée de 13 minutes et 13 secondes, I13 (au carré) fait parfois office de prologue visuel et dansé au solo Impact. La recherche derrière ce solo est documentée, voire représentée, dans cette oeuvre.
Cʼest suite à une commande des Rendez-vous du cinéma québécois que Marc Boivin propose à Jonathan Inksetter de concevoir une œuvre médiatique en se référant au titre de la photo Milk and Blood, de lʼartiste américain Andres Serrano et en exposant parallèlement son processus de création. Les rapports entre les gens en studio de répétition sont projetés en images sur un Plexiglas blanc pendant que lʼartiste danse et improvise la mémoire du travail dans lʼenvironnement sonore de Diane Labrosse enregistré live en studio. On y voit entre autres les parents du danseur, la source de toute quête biographique, qui lʼaccompagnent dans son parcours.
Chorégraphie et interprétation > Marc Boivin
Environnement visuel et développement conceptuel > Jonathan Inksetter
Répétitions et conseils artistique > Sophie Corriveau
Musique > Diane Labrosse
Costume > Marc Boivin + Jonathan Inksetter
Conception des éclairages > Yan Lee Chan
crédit photo : Sandra Lynn Bélanger
Impact
Cʼest en grande partie suite à sa conception du projet dʼimprovisation R.A.F.T. 70 pour AH HA Production de Andrew Harwood en 2007 que Marc Boivin découvre tout le potentiel de création qui lʼentoure. Dès lors se concrétisera de peu en peu la réalisation de son projet solo, Impact. Avec R.A.F.T. 70, Marc Boivin goûte au plaisir de la carte blanche et de lʼimprévisible, un état non loin de celui de la création chorégraphique. Il y confirme sa fascination pour lʼautre, lʼéchange et le risque de prendre la parole. Pour que lʼimprovisation se réalise, on doit laisser les autres la nourrir, lʼhabiter, la mouler à leur gré. Selon Boivin, il sʼagit là dʼun paroxysme, dʼun dévoilement de ce que doit être, pour lui du moins, lʼacte chorégraphique, lʼévénement scénique. Tels des vases communicants, les participants à un projet commun se passent mutuellement un savoir, une énergie, et cʼest ainsi que souhaite dorénavant travailler le danseur.
Accompagné des trois mêmes collaborateurs que dans R.A.F.T. 70, Marc Boivin sʼaffaire donc au développement de son premier solo quʼil dansera lui-même.Peu certain du propos quʼil souhaite aborder et devant lʼimmensité des possibilités, il opte de travailler selon un processus plutôt quʼun thème précis. Nourri par ses collaborateurs, il plonge dans lʼabstraction, développe des séquences et des improvisations. Les échos des autres se font entendre, leurs visions naissent, leurs vécus transpirent et affectent le créateur.
Si Impact est dʼabord un récit biographique, il devient rapidement un regard, un questionnement sur le parcours des êtres en constante mutation, qui sont empreints dʼinfluences multiples. En travaillant dans lʼabstraction et dans une collaboration constante avec ses concepteurs, Marc Boivin sʼaperçoit que les thèmes qui ressortent de ses efforts sont précisément ceux de lʼéchange, de la passation et de lʼapport de lʼautre. Impact raconte donc cette connexion entre les êtres et lʼamplitude de leur influence les uns sur les autres. À qui doit-on la personne que lʼon devient ? Comment les personnes percutent-elles notre existence et de quoi notre identité est-elle forgée ? Un par un, les hommes participent au monde, laissant derrière eux une signature, une trace quʼun autre aura tôt fait de sʼapproprier. Leurs ondes sʼentrechoquent, sʼembrassent et se moulent en de nouvelles influences. Impact cʼest aussi et surtout un corps en scène, celui dʼun danseur qui a vécu lʼapport de plusieurs, qui a été à lʼécoute de paroles diverses. Un corps dans et sur lequel cette symphonie dʼinfluences sʼharmonise et se parcellise. La recherche derrière le solo est dʼailleurs documentée, voire représentée, dans lʼoeuvre I13 (au carré). Ce projet connexe dʼune durée de 13 minutes et 13 secondes fait parfois office de prologue visuel et dansé au solo. Voir la description de I13 (au carré).
Chorégraphie et interprétation > Marc Boivin
Environnement visuel et développement conceptuel > Jonathan Inksetter
Répétitions et conseils artistiques > Sophie Corriveau
Musique > Diane Labrosse
Costume > Marc Boivin + Jonathan Inksetter
Conception des éclairages > Yan Lee Chan
Impact est une coproduction de Series 8 :08 et du département de danse de l’Université de Calgary.
Marc Boivin remercie l’Agora de la danse pour la résidence qui lui a été offerte.
La création de cette pièce a bénéficié du soutien du Conseil des arts du Canada et du Conseil des arts et des lettres du Québec.
crédit photo : Sandra Lynn Bélanger
R . A . F . T . 7 0
« L’improvisation est certainement affaire d’instinct et d’instant mais pour moi et pour cette première conception j’ai voulu reconnaître que l’instinct et l’instant ne sont jamais dénués de passé et d’influences antérieures. Ce passé en nous a ceci de semblable avec l’acte théâtral : tous deux survivent d’indices et de propositions que nous cherchons tant bien que mal à comprendre, à prendre contre nous. Tous deux se manifestent par bribes, à nous de trouver le sens qui appartient aux choses. La tension de cette quête est le travail des êtres sur scène, là où ils et elles s’exposent et par conséquence deviennent l’objet théâtral. J’ai voulu que l’apport de chacun des collaborateurs ne trouve son sens que dans ce qu’il illumine de l’autre. Rien n’est fini en soi.
Entre un début et une fin de prestation qui ne s’inscriront jamais vraiment, le passage du spectateur témoin influant. Rien de plus tangible que l’attention du passeur. »
– Marc Boivin, concepteur et directeur artistique
« Il y a des instants où un être se doit de prendre le risque de relâcher ce qui lui est familier et d’abandonner un certain degré de contrôle afin de pouvoir percer à un niveau artistique et de grandir sur le plan humain. Paradoxalement, un pas vers l’arrière, peut parfois entraîner un mouvement vers l’avant et nous permettre de ressentir une nouvelle perspective. Marc Boivin et moi avons eu la chance de nous rencontrer à Vancouver il y a une quinzaine d’années alors que nous étions tous deux enseignants. Bien que Marc et moi venions de mondes très différents quant à la danse, nous avons développé une riche alliance artistique qui continue de s’épanouir et de grandir. Nous partageons maintenant un amour profond pour l’art du moment, ce qui est possible grâce à un respect mutuel et une confiance totale.
J’ai invité Marc à concevoir et à diriger une pièce basée sur le travail qui me fascine et qui alimente mon développement artistique depuis plus de trente ans, et que ma compagnie soutient et produit depuis sa fondation en 2000 : la chorégraphie instantanée.
Avec R.A.F.T. 70, je désirais passer au-delà d’un rôle qui m’est connu en remettant les rênes créatives à Marc. Mon rôle principal fut d’initier le projet, tout en choisissant judicieusement les danseurs, et de communiquer la prémisse de base qui servirait de point de départ à la création de la pièce. […]«
– Andrew de Lotbinière Harwood, directeur artistique AH HA Productions
Conception et direction artistique > Marc Boivin
Improvisation danse > Andrew de Lotbinière Harwood, Marc Boivin, Lin Snelling, David Rancourt, Maureen Shea
Conception et improvisation son > Diane Labrosse
Conception de l’environnement et improvisation vidéo > Jonathan Inksetter
Improvisation lumières > Yan Lee Chan
Costumes > Danielle Lecourtois
Corps extérieur > Guy Cools
Direction de production > Catherine Lalonde
crédit photo : Jonathan Inksetter